Newsletter

Une assemblée principalement composée de fabricants de meubles et fournisseurs. © Photo Up

29.7.2025

Rencontres de l’Ameublement français : des leviers pour rebondir

Dans un contexte économique en berne, les Rencontres de l’Ameublement français, qui ont eu lieu à la Cité de l’Architecture & du Patrimoine à Paris le 19 juin dernier, n’ont pas cherché à minimiser les difficultés que traverse aujourd’hui l’industrie du meuble. Mais elles ont aussi mis l'accent sur la nécessité de saisir les opportunités qui se présentent en temps de crise, et de garder le cap en misant sur les fondamentaux, comme l’ont très bien dit les intervenants de la table ronde sur thème « Face à l’adversité et la crise, quelles sont les clés pour rebondir ? ». La séance a été clôturée par la remise des Trophées RSE de l’Ameublement français. FRANCOIS SALANNE

Comme a pu le dire un chef d’entreprise, participant à ces Rencontres de l’Ameublement français 2025 : « Nous avons déjà traversé beaucoup de crises ; le problème de la crise actuelle, c’est qu’elle dure, et qu’on n’en voit pas venir la fin. » Après deux années consécutives de recul du marché du meuble – successivement - 2,5 % en 2023 puis - 5,1 % en 2024 après, il est vrai, la période « faste » qui a suivi la crise du Covid – cette édition 2025 se présentait donc dans un contexte pour le moins difficile. C’est précisément ledit contexte qui a été décrypté par l’économiste et essayiste Nicolas Bouzou, en apportant des éléments d’explication au marasme que traverse aujourd’hui l’économie mondiale, avec des répercussions sur l’économie française, et notre façon de produire et de consommer. « Nous avons été habitués, depuis les années 1990, à des taux d’intérêts très bas, liés au fait qu’il y avait beaucoup d’épargne disponible, notamment celle des Chinois et des pays pétroliers qui se sont beaucoup enrichis, avec en face peu d’investissement, ce qui fait que l’argent n’était pas cher, c’est ainsi que les états ont pu s’endetter massivement, mais tout cela est bien fini, a-t-il expliqué. Aujourd’hui, où nous avons besoin d’investir notamment pour la transition énergétique et l’équipement militaire, les taux d’intérêt ont remonté, et nous sommes endettés. Il ne faut donc plus compter sur l’argent public, il y aura de moins en moins. » Pour l’essayiste, le temps où le monde était ouvert, où tout pouvait circuler sans obstacles, est bel et bien fini, comme le montre par exemple la croisade du président américain Donald Trump pour rétablir des droits de douane, afin de forcer les entreprises qui veulent vendre aux États-Unis à venir produire sur place, ce qui aura des répercussions sur tous les marchés mondiaux. En parallèle, on assiste à une augmentation des coûts de fabrication, liée à l’instabilité internationale croissante, qui pèse sur la hausse sur les prix des matériaux et du transport maritime, accompagnée par un pouvoir d’achat en baisse. Conséquence, le plus grand nombre de consommateurs a tendance à épargner plus que jamais pour se protéger contre un avenir incertain, un cocktail délétère qui, finalement, paralyse les économies. L’intervenant a conclu cette présentation plutôt sombre avec une note d’optimisme : « La condition pour sortir de cette crise, c’est le retour de la croissance. Or nous pouvons aujourd’hui être confiants, car nous avons devant nous une révolution technologique qui s’annonce. L’arrivée de l’IA, le développement de la robotique, vont nous permettre de travailler mieux, plus intelligemment et d’augmenter notre productivité. On le voit déjà aujourd’hui dans la médecine prédictive, qui fait des progrès énormes dans la détection précoce des maladies ; des progrès qui vont s’étendre peu à peu à tous les secteurs de l’industrie, et nous permettre de sortir de cette crise. Alors oui, il faut être optimiste, d’autant plus que la France a montré par le passé qu’elle retrouve toute sa dynamique et son inventivité dans les situations difficiles. »

Arnaud Visse, président de l’Ameublement français et Cathy Dufour, secrétaire générale. © Photo Up

La crise, a la fois epreuve et opportunite

Le plat de résistance de ces Rencontres 2025 a été la table ronde sur le thème « Face à l’adversité et la crise, quelles sont les clés pour rebondir ? », animée par la journaliste Dorothée Balsan, qui a réuni trois chefs d’entreprise représentatifs de la diversité de notre filière : Enaut Jolimon de Haraneder, le PDG d’Alki (mobilier en chêne massif design), Philippe Savajols, président du groupe Isospace – spécialisé dans la conception, et l’agencement des bureaux, hôtels, restaurants et points de vente - et Laurent Belloni, directeur achats du Groupe Schmidt (cuisine, salle de bains, rangements). Pour commencer, les trois intervenants ont exposé leur vision de la situation : « Quand on n’a pas de visibilité, comme c’est le cas aujourd’hui, on doit imaginer les scénarios possibles, comme peut le faire un navigateur à la voile par mauvais temps, il faut parfois « tirer des bords » et avancer en zig-zags pour atteindre sa destination, a expliqué Laurent Belloni. Quoi qu’il en soit, l’essentiel par temps de tempête est de rester fidèle à nos points forts : une excellence opérationnelle, des produits conformes à la qualité attendue, et un excellent niveau de services. » Pour Philippe Savajols, il faut aussi relever les points positifs d’une crise : « En ce qui concerne Isospace, nous constatons un nombre de devis identique à celui de l’année dernier, explique-t-il, et notre situation était bien plus difficile pendant la crise de 2008. Sans aller jusqu’à dire qu’une crise est positive, il me semble qu’il faut aussi la voir comme une opportunité qui nous pousse à nous remettre en cause et à nous transformer pour nous adapter. » Pour Enaut Jolimon de Haraneder, il est important de ne pas sur-réagir à la situation actuelle ; il faut voir plus loin, comme l’a déjà fait Alki au début des années 1980, quand elle s’est réinventée en ajoutant la dimension de la création et du design à son modèle d’entreprise, ce qui lui permet aujourd’hui, malgré la crise, de « surperformer. » Bien que difficile, le contexte actuel ne manque pas d’opportunités qu’il faut saisir. C’est ce qu’a fait le Groupe Schmidt, qui a lancé fin 2024 une nouvelle marque, Spoon & Room, très prometteuse : cette nouvelle offre innovante de meuble modulaire, pour la cuisine et les pièces à vivre, répond à une attente des Millenials, une clientèle jeune et vivant en centre-ville, qui recherche un concept à la fois plus souple et plus responsable pour se meubler, et veut pouvoir emporter ses meubles de cuisine en cas de déménagement.

La RSE, un levier de croissance ?

Dans un contexte de crise, la RSE peut-elle être une voie de salut ? « Nous avons commencé à nous y intéresser dès 2018, non sans quelques tâtonnements, puisqu’à l’époque on misait sur le label Lucie 26000, qui n’a pas rencontré le succès escompté, répond Philippe Savajols. Après avoir été mise sur pause pendant la crise du Covid, la RSE est devenue pour nous un axe structurant, nous sommes en passe d’être labellisés EcoVadis Platinum. » Pour le Groupe Schmidt, il est important de rappeler que la RSE, ce n’est pas seulement l’environnement qui n’en est qu’un pilier.  « Nous investissons tout autant dans les deux autres piliers, le social et l’économique, précise le directeur des achats du groupe. Il faut en effet maintenir un équilibre entre les trois, afin que tous les salariés y trouvent leur compte et adhèrent à notre projet. » À ce sujet, Laurent Belloni ajoute que la réglementation, qui est aujourd’hui l’objet de beaucoup de critiques, a aussi son utilité : c’est elle en effet qui pousse les industriels à aller vers des produits – matériaux biosourcés ou recyclés - et des services plus vertueux pour l’environnement, et à lutter ainsi contre le changement climatique, en un mot à aller vers une culture de l’éco-conception. Chez Alki, elle est également partie intégrante de l’activité : « Je pourrais donner de nombreux exemples, comme la quête de partenaires locaux, puisque 80 % d’entre eux sont à moins de 100 kilomètres de l’usine, précise Enaut Jolimon de Haraneder. Nous sommes aujourd’hui labellisés EcoVadis Gold, mais c’est une étape. Je dirais que la RSE entraîne une hausse de nos coûts dans l’immédiat, mais à coup sûr elle nous permet de semer pour l’avenir. »

Nicolas Bouzou, économiste et essayiste. © Photo Up

L’IA, un outil createur de sens ?

Incontournable aujourd’hui, l’IA a été le prochain sujet à arriver sur la table, avec en corollaire la question de savoir si elle peut être un levier de sortie de crise. « J’ai mis un peu de temps à comprendre les enjeux de l’IA, témoigne Philippe Savajols, mais je peux dire que 6 mois après m’être intéressé à la question, 80 % de mon business avait changé. Nous avons monté un groupe de réflexion sur le sujet, pour savoir qui et comment on pouvait l’utiliser, et ce qui ressort aujourd’hui est que chat GPT est pour tout le monde dans l’entreprise ! Je donnerai un seul exemple : pour la rédaction des dossiers d’appels d’offres, nous gagnons un temps fou, et revenir en arrière serait une vraie perte de productivité. » Les utilisations de l’IA sont multiples, et semblent même sans limites : le Groupe Schmidt l’utilise déjà avec profit pour mémoriser et analyser les pannes dans la chaîne de production, faire du reporting et de la maintenance prédictive, et aussi pour faire de la formation. « Pour inspirer nos clients de Cuisinella, nous avons créé un outil en ligne grâce à l’IA, qui leur permet d’avancer leur projet chez eux, avant de venir le finaliser en magasin, ajoute Laurent Belloni. Nous avons pu clairement constater que l’utilisation de cet outil augmente le taux de concrétisation des ventes, c’est une application très concrète de l’IA. » Autre application au sein du Groupe Schmidt, un outil a pu être créé en interne et en quelques heures, qui permet d’évaluer tous les risques répertoriés chez l’ensemble des fournisseurs – incendie, climatique, etc. – et de les cartographier : les informations sont désormais disponibles d’un simple clic, sans avoir à demander à un consultant extérieur d’élaborer cet outil, avec à la clé une économie importante. « Nous avons gagné un temps précieux dans l’élaboration de nos concepts et plans en 3D pour l’aménagement d’hôtels, de restaurants ou de magasins, ajoute Philippe Savajols, grâce à l’utilisation de l’IA. Attention, il est très important de savoir « prompter », c’est-à-dire interroger la machine avec les bons termes et la bonne formulation, pour pouvoir en optimiser l’exploitation. »

Ce gros plan sur l’IA a créé une transition idéale vers le dernier thème de la table ronde, à savoir la nécessité de donner du sens au travail. « Pour que le travail ait du sens, notamment en temps de crise, il faut absolument respecter ses fondamentaux, et notamment rechercher la satisfaction du client, en s’interrogeant sur son besoin et la manière d’y répondre, en étant je dirais « exemplaire », ce qui est le socle nécessaire pour pouvoir travailler et faire de l’innovation », résume Laurent Belloni. « La quête de sens est dans notre ADN de SCOP, c’est-à-dire que ce qui nous lie à nos salariés est plus qu’un contrat de travail, tous sont associés, et adhèrent à notre projet d’entreprise, conclut Enaut Jolimon de Haraneder. En plus de fabriquer de beaux meubles, nous voulons aussi pouvoir travailler sur notre territoire et le développer, d’où notre volonté de bien faire, et d’être dans la bienveillance et le respect de l’autre. » Un message réconfortant, pour conclure les échanges constructifs dont on a bien besoin en temps de crise.

Table ronde (de gauche à droite) : Dorothée Balsan (journaliste), Enaut Jolimon de Haraneder (Alki), Philippe Savajols, (Isospace), et Laurent Belloni, directeur achats du Groupe Schmidt. © Photo Up

-------------------

[Zoom]

Trophées RSE de l’Ameublement français 2025 : le palmares

> Trophee RSE Qualite de vie au travail, diversite et inclusion : societe Area

Le jury a récompensé cette entreprise fabriquant du mobilier urbain qui pratique une politique d’inclusion, en faisant travailler des collaborateurs qui sont en prison, et résidents dans des centres adaptés. Elle détient à ce titre le label PePs, géré par le ministère de la Justice, le premier et l’unique dispositif qui garantit des conditions de fabrication responsables et inclusives de produits et services réalisés en détention.

> Trophee Economie circulaire : Ateliers Emmaus et IA France (ex-aequo)

Les Ateliers Emmaüs ont été récompensés pour leur programme de valorisation des ressources issues du recyclage, et d’insertion professionnelle pour les personnes éloignées de l’emploi, en partenariat notamment avec la designer Constance Guisset. De son côté, l'entreprise IA France a été distinguée pour le programme CIR-SCOLAIRE, un service d'éco-conception sur-mesure permettant aux collectivités de revaloriser leur mobilier scolaire usage, et de le retransformer à nouveau en mobilier scolaire.

> Trophee Entreprise et son territoire : Sokoa

Le fabricant de mobilier de bureau Sokoa a été distingué pour son recours à des partenaires et fournisseurs locaux, et son projet d’entreprise, qui consiste à offrir l’opportunité à ses salariés de travailler et vivre sur leur territoire.

> Coup de cœur : Groupe STP / Cuisine Morel

Le fabricant a été distingué en tant que première entreprise du secteur de la fabrication de cuisines et d’aménagements sur-mesure à devenir Entreprise à Mission, ce qui se traduit par trois objectifs inscrits dans les statuts de l’entreprise : la préservation des savoir-faire, la réduction de l’empreinte carbone - en défendant un design responsable qui prend soin des hommes et de la nature - et le renforcement du lien aux territoires.

Les lauréats des Trophées RSE 2025 et les représentants de l’Ameublement français. © Photo Up

Abonnez-vous à notre Newsletter pour être toujours à jour sur nos dernières actualités.