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La scénographie est signée Pauline Leprince Studio.

9.12.2025

Resurgences : pour une reedition passeuse de savoir-faire

Avec l’exposition Résurgences, qui se tient dans sa galerie parisienne jusqu’au 23 février 2026, Le French Design by VIA fait la promotion d’une réédition qui ne verse pas dans la nostalgie, mais aiguillonne les savoir-faire pour associer le patrimoine et la créativité. FRANCOIS SALANNE

Si la pratique de la réédition n’est pas nouvelle, on assiste depuis un an ou deux à une multiplication, de la part des grandes marques européennes, des remises en production de créations iconiques déjà éditées une première fois dans le courant du XXème siècle. Autre cas de figure, les marques peuvent aussi éditer des produits conçus il y a plusieurs décennies, mais qui étaient restés dans les cartons sous forme de dessins, et n’avaient jamais été fabriqués. C’est dans cette tendance que s’inscrit la nouvelle exposition se tenant dans la galerie de l’avenue Ledru-Rollin à Paris XIIème, intitulée sobrement « Résurgences », à l’image d’un cours d’eau qui refait surface après avoir été souterrain pendant une partie de son parcours. Elle réunit une vingtaine de pièces rééditées – ou éditées pour la première fois – par des fabricants ou éditeurs français, remettant ainsi en perspective la grande tradition du design dans notre pays. Sa scénographie a été confiée à un talent montant de l’architecture d’intérieur, Pauline Leprince, qui signe une mise en scène « rétrofuturiste », à dominante acier inoxydable, un matériau roi dans le mobilier des années 60 et 70, pour créer un parcours décliné en séquences narratives.

Fauteuil G10 (Pierre Guariche, Cinna).

Un phenomene culturel et commercial

Cependant, le French Design by VIA ne se contente pas de faire revivre le passé : il rattache ces « Résurgences » à sa mission la plus actuelle, à savoir la promotion de la création contemporaine dans le mobilier. Loin de verser dans la nostalgie, la réédition s’inscrit dans ce que Jean-Paul Bath, son directeur général, nomme le « design lyrique », c’est-à-dire « la définition inimitable d’un art de vivre à la française, d’un art de designer à la française, auréolé d’élégance, irrigué de poésie, de sensibilité et conforté de savoir-faire inouïs ». Autrement dit, la réédition n’a rien de muséal, elle s’articule entre mémoire, savoir-faire, transmission et innovation, en s’adaptant au besoin aux usages actuels, ou encore aux attentes environnementales des clients d’aujourd’hui, en s’appuyant sur les savoir-faire contemporains des fabricants et éditeurs. A titre d’exemple, Cinna a adapté le fauteuil G10, conçu en 1953 par Pierre Guariche, dans sa réédition de 2024 : « Dans sa version originelle, le fauteuil se distinguait par son pied central, choix esthétique affirmant sa singularité. Pour sa réédition, l’éditeur a simplifié la structure en supprimant cet élément, explique-t-on au French Design by VIA. Ce geste, loin d’être une trahison, conjugue fidélité à la ligne moderniste de Guariche et adaptation aux exigences contemporaines d’ergonomie et de production. L’inclinaison de l’assise, l’usage de sangles dans le dossier et l’enrichissement des matériaux illustrent cette double logique : préserver l’esprit tout en ajustant le produit à la demande actuelle ». L’éditeur adopte ainsi la position du passeur, en actualisant un patrimoine tout en regardant vers l’avenir, en utilisant cette culture pour séduire de nouveaux marchés, et accroître son attractivité auprès des prescripteurs.

Cabinet Otto (design et édition Philippe Hurel).

Pieces oubliees et reeditions recentes

La scénographie de Pauline Leprince propose un parcours à la fois « cinématographique et sensible », à la façon d’un « travelling dans la mémoire collective du design français ». Sans qu’il soit possible d’évoquer toutes les créations présentées, une première séquence appelée « La nuit des formes » réunit les « pièces oubliées », où on retrouve par exemple la Table-cendrier, en acier laqué noir et laiton, conçue vers 1929 par le créateur visionnaire Pierre Chareau (1883-1950) pour sa célèbre Maison de verre. Due à la galerie MCDE, cette réédition est disponible exclusivement chez The Invisible Collection, la première galerie en ligne dédiée au mobilier et aux objets de créateurs. On trouve aussi dans cette séquence le cabinet Otto (dessiné et fabriqué par Philippe Hurel en 1992), le tabouret Uhin du créateur basque Nestor Basterretxea récemment réédité par Alki, ainsi que la chaise TR-73 : dessinée par Gérard Rinck, elle a été éditée une première fois par la maison Rinck en 1973, qui la réédite aujourd’hui, en complétant son piétement en inox poli miroir avec une coque moulée en plexiglas recyclé qui remplace l’altuglas d’origine. La séquence suivante – « Les Survivances » - est consacrée à des rééditions récentes, comme le canapé S3T4 de Joseph-André Motte (par Duvivier Canapés), la chaise Trèfle de René-Jean Caillette (par Fermob), ou encore la table Okeanis de Rena Dumas, créée en 1988 et rééditée par la maison RDAI, un meuble transformiste tantôt table d’appoint, console d’angle, ou bout de canapé grâce à un subtil travail d’ébénisterie qui rend ses différents plateaux amovibles.

Table-cendrier (Pierre Chareau, Galerie MCDE, The Invisible Collection). © Emma Muller / Invisible Collection

Des icones aux « Fantomes modernes »

L’exposition se poursuit avec une séquence consacrée aux « icônes », parmi lesquelles le bureau Tanis dessiné par Pierre Paulin en 1954 (Ligne Roset), ainsi que des luminaires fameux, comme le lampadaire Grand Signal, créé et édité par Serge Mouille en 1962, et le lampadaire G1 signé par Pierre Guariche en 1951, réédité par la maison Sammode. On trouve aussi dans cette séquence le fauteuil 1940, réédité par Ecart, que l’on doit à Jean-Michel Frank, l’un des plus fameux décorateurs – ensembliers de l’entre-deux-guerres. Ses lignes sobres et son luxe discret ont véritablement marqué des générations de designers. Enfin, la dernière séquence – « les Fantômes modernes » - met face à face des créations historiques non éditées à leur époque, et leur réinterprétations contemporaines. C’est le cas de l’étonnante Série C, une assise très conceptuelle imaginée en 1980 par Roger Talon (1929-2011), considéré comme le père du design industriel français, auquel on attribue entre autres le TGV. C’est Eurosit qui a pris en charge de transformer la vision en réalité, en rééditant en 2016 cette assise à base rotomoulée et habillée de mousse, déclinée en chauffeuse, quart de rond et pouf configurables pour créer des banquettes variables, révolutionnaire à l’époque, et qui garde toute sa force aujourd’hui. Dans ce registre se trouve aussi le concept TU-TU, imaginé en 1968 par le designer Turenne Chevallereau, une table d’appoint convertible en pouf qui préfigure l’arrivée du mobilier en kit, dont nous devons la réédition à la toute jeune maison Source Édition. Cette exposition met aussi en évidence le rôle majeur de l’ARC, l’Atelier de Recherche et de Création du Mobilier national, créé en 1964 avec pour mission de soutenir la création de prototypes exigeants sur le plan technique et formel, qui a soutenu et accompagné la réédition de plusieurs créations exposées.

Table Okeanis (Rena Dumas, RDAI).
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