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18.11.2021

[Flavien Neuvy, Observatoire Cetelem] « L’équipement de la maison est en ballotage très favorable pour 2022 »

A l’approche de la fin de 2021, le directeur de l’Observatoire Cetelem passe en revue les thématiques qui impactent les marchés du meuble et de la décoration. En tenant compte du regain d’intérêt des Français pour leur logement, d’un exode urbain générateur de déménagements et de ventes de mobilier, de l’essor du télétravail, et de l’épargne importante qui a été mise de côté pendant la crise sanitaire, l’économiste observe que les signaux positifs se conjuguent pour laisser présager un exercice 2022 très positif. Seules ombres au tableau : la tension sur les matières premières et le retour de l’inflation, liée notamment aux prix de l’énergie, qui néanmoins ne devraient pas trop peser sur l’activité de cette année aux échéances électorales majeures.

Le Courrier du Meuble et de l’Habitat : L’équipement de la maison a été l’un des secteurs les moins touchés par la pandémie de Covid-19, car les confinements ont amené les Français à réinvestir dans leur intérieur. Quel regard portez-vous sur ce marché après bientôt deux années de crise ?

Flavien Neuvy : A partir du moment où on est confiné chez soi, qu’on y passe plus de temps parce qu’on peut à peine sortir, on s’intéresse forcément à la manière dont on est installé. Beaucoup de Français se sont aperçu que leur logement n’était pas adapté au télétravail, et ont investi pour avoir un logement plus confortable, et plus fonctionnel, ce dont le marché a profité à plein, à partir de la mi-2020. L’équipement de la maison, mais aussi le bricolage et le jardinage, sont donc des marchés qui vont bien, non seulement en France, mais aussi dans les pays européens en général. L’ensemble des acteurs de ces marchés ont bénéficié de ce contexte, aussi bien les grandes enseignes parce qu’elles ont une grande visibilité, et parce qu’elles créent les tendances de la maison, que les artisans qui sont spécialisés dans l’aménagement des cuisines ou des salles de bain, et l’agencement. Ils ont des carnets de commandes bien remplis et ont souvent du mal à répondre à la demande, faute notamment de salariés formés à ces métiers. Il faut aussi inclure dans ces activités très dynamiques les architectes d’intérieur, qui sont très sollicités pour les projets à partir d’un certain budget.

Flavien Neuvy_Directeur de L’Observatoire Cetelem copyright Peter Allan

Comment cette tendance de consommation peut-elle évoluer à court et moyen termes ?

Le marché de la maison est en ballotage très favorable, pour deux raisons essentielles. La première est conjoncturelle, et liée à la bonne orientation de l’activité économique : après une année de rattrapage à plus de 6 % de croissance en 2021, on attend une croissance de 3,5 % à 4 % l’année prochaine, ce qui est nettement au-dessus de notre rythme de croisière qui est de 1 à 1,5 %. D’autre part, d’autres indicateurs sont favorables, un taux chômage qui baisse et un pouvoir d’achat qui, en dépit de ce que ressentent les Français, est resté orienté à la hausse, même s’il est un peu érodé par la hausse du prix de l’énergie… Nous sommes donc dans un contexte macro-économique qui est favorable, et qui va le rester en 2022, sauf si un nouvel aléa sanitaire surgissait, par exemple un nouveau variant très contagieux, résistant au vaccin, qui obligerait à tout reconfiner… Sauf coup très dur au plan sanitaire, la croissance économique sera forte, et le secteur va en profiter, tirée par la consommation des ménages, qui ont constitué une épargne très importante pendant la crise sanitaire.

La deuxième raison d’être optimiste est structurelle. Contrairement à ce qui a été dit par certains prévisionnistes, je ne pense pas que le « monde d’après » sera si différent que ça du précédent, mais il y aura cependant une grande nouveauté : le télétravail. Si on en croit les études sur ce thème, on ne passera pas à 100 % en télétravail, parce que ni les employeurs ni les salariés qui peuvent télétravailler ne le souhaitent, mais la moyenne pourrait se situer à deux ou trois jours de télétravail par semaine. En conséquence, les gens qui passeront quatre à cinq jours par semaine chez eux – week-end compris – feront des travaux pour aménager un bureau pour travailler, ou un espace polyvalent, installeront un poste de travail, voire une isolation phonique, ce qui génèrera beaucoup d’achats dans les années qui viennent.

On constate aussi un exode urbain. Quel peut-être son impact sur notre marché ?

C’est une autre conséquence de l’essor du télétravail. On peut aujourd’hui s’éloigner de son lieu de travail, sans augmenter pour autant le temps passé dans les transports, puisqu’on travaille à domicile. Voilà pourquoi beaucoup de Français parmi ceux qui le peuvent choisissent de quitter les centres-villes pour aller habiter dans une petite ville ou à la campagne, ce qui leur permet d’avoir une maison avec un jardin pour un budget équivalent à celui d’un appartement en ville. C’est ce qu’on pourrait appeler la « revanche des villes moyennes », et c’est un autre très bon signal pour l’équipement de la maison. La mobilité et le grand nombre de déménagements vont entraîner mécaniquement des travaux à domicile, et des dépenses d’équipement pour acheter des meubles, ou refaire sa cuisine, sa salle de bain ou son dressing. Nous sommes donc au début d’un changement durable dans la relation entre la maison et le lieu de travail. Cet exode urbain est un levier pour le secteur qui va compenser un autre levier traditionnel du marché de la maison, la construction de logements neufs, qui elle est à la traîne par rapport aux ambitions affichées et aux besoins importants de notre pays en la matière.

Pour les acteurs de la distribution, la question majeure reste de savoir comment articuler le numérique avec le physique, le site internet avec le point de vente (ici, corner Kave Home au BHV)

Quelles peuvent être les conséquences de la tension sur les matériaux ?

C’est la principale ombre au tableau, mais elle est importante. Il y a des problèmes de tension sur les approvisionnements, et un transport maritime qui est saturé, ce qui crée des délais de livraison qui s’allongent, avec en face des clients qui n’ont plus l’habitude d’attendre. Habitués à vouloir tout, et tout de suite, les clients doivent pour l’instant réapprendre la patience, et les distributeurs doivent apprendre à vendre des délais. Et dès qu’on parle de pénurie ou de tension, cela se traduit par une hausse des prix. Les fabricants sont obligés de la répercuter sur les prix des produits finis, il y a donc un retour de l’inflation, quelque chose qu’on avait oublié. Pour les acteurs du marché, cela peut se traduire par une montée des prix entre le moment de la prise de commande et le moment  de la livraison ou de la réalisation des travaux, avec à la clé une baisse de leur marge, voire des affaires qui font perdre de l’argent. Chez les consommateurs, cela peut se traduire par un peu d’attentisme, d’autant plus que, sur le secteur de la maison, on est souvent dans du renouvellement. Autrement dit, je peux garder ma cuisine ou mon canapé quelques mois de plus, en attendant que les hausses de prix se tassent, ce qui n’est d’ailleurs pas forcément un problème, car actuellement beaucoup de fabricants ont du mal à livrer tous leurs clients dans des délais raisonnables.

En ce qui concerne l’inflation, elle est présentée par les institutions monétaires comme provisoire, et attribuée à deux phénomènes : la hausse des prix de l’énergie, puisque l’activité économique a repris partout, et que les infrastructures de production d’énergie n’ont pas redémarré assez vite pour fournir le marché, et la chaîne logistique qui n’a pas retrouvé ses volumes et sa fluidité d’avant la crise. Il s’agit d’un phénomène à surveiller, parce qu’il concerne tous les produits – énergie, produits agricoles, matériaux de construction, etc. – et parce qu’on ne sait pas très bien combien de temps il va durer. Quoi qu’il en soit, la transition énergétique va coûter cher, et le prix de l’énergie va continuer à monter à moyen et long termes, jusqu’au moment où nous aurons atteint la neutralité carbone.

Vous l’avez rappelé, les Français ont constitué une épargne très importante pendant la crise sanitaire, évaluée à 200 milliards d’euros. Que peut devenir cet argent ?

Cet argent correspond à une épargne forcée, à de l’argent qu’on n’a pas pu dépenser et qui s’est accumulé essentiellement sur les comptes à vue et livrets d’épargne. Avec le fameux « quoi qu’il en coûte », l’état s’est substitué aux entreprises, en payant des millions de gens qui étaient en chômage partiel, pour qu’ils restent chez eux sans pouvoir consommer. Il a donc opéré un transfert d’argent vers les agents économiques privés, en creusant le déficit public, mais avec pour conséquence cette épargne qui a vocation à revenir dans l’économie, et sera un soutien à moyen et long termes pour la croissance. Il faut se féliciter de cette mesure, car les entreprises vont globalement bien, le taux de défaut a été très faible, il y a peu de faillites, et le chômage est en baisse, alors que certains avaient annoncé à la fin des confinements des faillites en chaîne et des licenciements massifs. Le « quoi qu’il en coûte » a finalement permis de faire un « pont financier » entre l’avant-crise et l’après-crise.

On parle aussi beaucoup de made in France et relocalisations. Quel peut être l’impact de cette tendance de consommation ?

Le client d’aujourd’hui est effectivement sensible au made in France, mais son choix est toujours multi-critères : on sait que le plus important reste le rapport qualité / prix, et que la dimension environnementale, savoir si le bois est issu de forêts gérées durablement, savoir si le produit est fabriqué à proximité ou à l’autre bout de la planète viennent ensuite. D’autre part, le client se heurte à un problème d’information : il n’est pas facile le plus souvent de savoir d’où vient le bois d’un meuble que l’on possède, ni quelle est la part véritable du produit qui est fabriquée en France. Il faut donc mettre en avant ce critère, en sachant qu’il n’est pas suffisant pour déclencher l’achat, il doit être un plus qui s’ajoute aux autres qualités du produit, et à un prix de marché : les études montrent que les consommateurs sont prêts à payer un peu plus cher un produit made in France, jusqu’à 10 ou 15 % mais pas plus, et à qualité égale bien sûr.

Du côté de la relocalisation de la production, cela dépend des produits et des modèles économiques, mais cela reste un défi difficile à relever. En effet, malgré la baisse bienvenue des impôts de production, ils restent nettement plus élevés que dans beaucoup de pays  proches, en Europe, et les salaires français sont aussi parmi les plus élevés. La création d’un site industriel est aussi une démarche fastidieuse pour obtenir toutes les autorisations. Même si les relocalisations industrielles ne sont pas exclues, il semble sage dans un premier temps de faire en sorte de conserver de façon pérenne et d’assurer le développement des sites de production qui existent déjà sur notre territoire.

Comment voyez-vous évoluer le rapport entre ventes en e-commerce et en magasin ?

Les ventes en ligne vont connaître la même trajectoire que tous les nouveaux canaux de distribution : après une phase de croissance forte, il y aura un ralentissement, et on arrivera sur un plateau qui indiquera qu’on est à maturité. Pour les acteurs de la distribution, la question majeure reste de savoir comment articuler le numérique avec le physique, le site internet avec le point de vente. Autrement dit, quelle est l’expérience magasin que j’offre à mon client, pour faire en sorte qu’il soit satisfait de prendre de son temps libre et de dépenser de l’essence pour venir jusqu’à moi ? Tout est là : que va-t-il trouver dans mon magasin qu’il ne trouvera pas sur internet – des idées, de l’inspiration, une expérience sensorielle… – et qui va lui donner envie d’acheter et de revenir ? Même si la question n’est pas simple, et qu’il faut faire appel à la créativité du distributeur, je pense qu’il faut aujourd’hui plus-que-jamais, après les épreuves des confinements, miser sur la valeur ajoutée des vendeurs. Du fait de toutes les informations qui circulent sur internet, et notamment sur les réseaux sociaux, le consommateur d’aujourd’hui a déjà un haut niveau d’information quand il pousse la porte du magasin. Il est donc très important de miser sur la formation des vendeurs, de les « upgrader » afin qu’ils soient plus experts, et capables de surprendre le client en lui donnant des informations qu’il n’a pas. Les valeurs de l’accueil, de la convivialité et la capacité à créer de la confiance en prenant le temps d’échanger avec un client considéré comme une personne unique, sont plus importants que jamais.

L’année 2022 sera marquée par l’élection présidentielle. Faut-il s’attendre à des conséquences sur la consommation ?

Si on se tourne vers le passé, on constate que les années d’élections présidentielles sont plutôt bonnes sur le plan économique, car il y a souvent un état de grâce, et des espérances nouvelles qui arrivent avec le nouveau locataire de l’Élysée… Si on exclut un scénario surprise, et l’élection d’un candidat inattendu, 2022 devrait s’inscrire dans ce schéma général. Je pense donc que la consommation va continuer à rester dynamique, et que toutes les conditions seront réunies pour que les Français mettent à exécution leurs projets d’aménagement et d’amélioration de leur habitat. De la même façon, les entreprises de fabrication ou de distribution ont tout intérêt à profiter de ce contexte favorable pour donner suite à leurs projets.

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